InterviewArianeLS lowInterview d'Ariane Estenne parue dans Le Soir du 11 janvier. Le Mouvement ouvrier chrétien est désormais dirigé par une jeune femme, Ariane Estenne. Elle ambitionne de réveiller le mouvement social pour mieux lutter contre les inégalités. Et ainsi rendre à son organisation son influence d’antan. Entretien.


Depuis le début de ce mois, elle préside le Mouvement ouvrier chrétien. Ariane Estenne a en effet succédé à Christian Kunsch, admis à la pension. A 35 ans, la nouvelle présidente apporte un coup de jeune à l’organisation faîtière des piliers associatifs sociaux-chrétiens, dont la visibilité et l’influence ont fortement décliné depuis l’époque de François Martou. Quel projet entend-elle porter dans cette fonction qu’elle assume déjà avec beaucoup de décontraction.

Ces dernières années, le MOC n’a-t-il pas manqué de visibilité ?

 

Le MOC, acteur fondamental du XXe siècle, a eu énormément de visibilité, dans les années 80 et 90. Tout le monde connaissait son président, François Martou, dans le paysage politico-médiatique. Après lui, le MOC a poursuivi sa mission de mener une action conjointe entre les cinq organisations constitutives (CSC, Mutualité chrétienne, JOC, Vie Féminine et Equipes populaires) mais avec moins de visibilité à l’extérieur et dans les médias. Or cette visibilité est importante dans le contexte que l’on connaît de redéploiement des mouvements sociaux. Nous devons pouvoir tenir un discours dans les médias qui va à l’encontre du discours dominant libéral légitimant les politiques d’austérité.

 

Il a aussi perdu l’influence politique dont il disposait autrefois avec François Martou…

 

Tout à fait. Mais cette capacité d’influence vient avant tout de positions fortes que l’on peut défendre. Et ensuite, la visibilité viendra d’elle-même.

 

Vous arrivez à la tête du MOC au terme d’une législature socialement agitée. Ces affaires courantes, c’est un soulagement pour vous ?

 

Depuis l’entame de cette législature, le MOC a dénoncé toutes les mesures qui renforçaient les inégalités et détricotaient la Sécurité sociale. Et nous n’avons jamais été partisans de cette coalition « suédoise ». C’est donc un soulagement relatif de la voir se casser la figure. Mais il ne faut pas être dupe : on fait face à des jeux politiques qui arrangent bien les partis en affaires courantes. Peut-être est-ce une bonne chose d’aboutir aux affaires courantes. Mais qui y gagne et qui y perd ? Je ne suis pas convaincue que ce soit nécessairement la gauche.

 

Pour quelle raison ?

 

D’abord, les mesures ont été prises. On constate que les personnes concernées par la Sécurité sociale et les corps intermédiaires ressortent plus marginalisés de cette législature. Et symboliquement, on ne se situe plus au même point qu’au début de cette législature. On s’est tous un peu plus habitués aux inégalités. Il y a donc un discours ambiant qui a percolé, tant sur les questions migratoires et de racisme que sur celle portant sur les inégalités sociales. Le désir d’égalité a donc diminué. Et c’est cela peut-être qui m’inquiète le plus dans le contexte ambiant, au-delà des affaires courantes. Il y a une indignation moins forte face à ces inégalités et les chemins pour y répondre et recréer une action collective sont moins évidents qu’il y a dix ans. Les voies de la lutte sont moins claires et on voit moins ce que l’on peut partager avec son voisin. Les gilets jaunes le montrent : ils sont très hétéroclites, composés de personnes occupant des fonctions différentes dans la société. Le second élément, c’est l’horizon. A part des dictateurs ou des malades mentaux, je ne vois pas aujourd’hui qui est en capacité de dire « J’ai la solution. Suivez-moi, Je sais où on va. » Tout cela rend la construction de cette action collective beaucoup plus compliquée.

 

Les gilets jaunes n’ont-ils pas également montré aux organisations syndicales qu’il fallait parfois se montrer plus virulent dans la manière de lutter et oser un mouvement sur la durée, alors que les syndicats donnent parfois l’impression d’organiser des actions sans réel lendemain ?

 

Je n’ai pas cette vision du travail syndical de ces dernières années. Au contraire, il y a une continuité. On a mobilisé beaucoup de monde au début de la législature, bien plus que les années précédentes. Et ce n’était pas des « one shots ». Mais pour moi, les questions sont plutôt : à qui s’adressent les syndicats ? Le mouvement des gilets jaunes permet de poser l’hypothèse que les syndicats ne s’adressent plus à l’ensemble de la population et qu’une part de celle-ci s’est sentie mise à l’écart et ne se reconnaît plus dans les institutions syndicales et associatives. On peut aussi relier ce phénomène aux mesures fédérales. Car dès le moment où des personnes perdent leur droit au chômage, une partie d’entre elles cesse d’être syndicalisée. Les mesures concrètes font également perdre des militants aux syndicats.

 

 Au cours de la campagne qui s’annonce, y a-t-il des thématiques que vous comptez mettre à l’avant-plan ?

 

Il y a quatre thèmes qui, à mes yeux, seront au cœur de la campagne. Il y a évidemment la question socio-économique, avec la mobilisation des gilets jaunes et des réflexions en faveur d’un nouveau Pacte social. Il y a la question migratoire qui a quand même fait tomber le gouvernement, avec le Pacte de l’ONU. La question climatique avec la marche pour le climat et les réponses plus radicales que l’on attend désormais du politique. Et enfin la question des femmes, au travers du mouvement #MeToo et des inégalités que continuent à vivre les femmes. Ces enjeux seront prioritaires à tous les niveaux de pouvoir.

 

 Le socioéconomique, parlons-en. Que vous inspire la décision de Proximus de supprimer 1.900 postes et d’en créer 1.250 par ailleurs, davantage tournés vers le digital ?

 

Ce qui frappe dans ce licenciement, c’est le peu de cas qui est fait des travailleurs âgés. De plus en plus, on a l’impression que ceux-ci servent de variable d’ajustement. Cet épisode met d’ailleurs le gouvernement fédéral face à ses contradictions, lui qui a relevé l’âge de la prépension et de la pension. De manière plus générale, c’est le manque d’anticipation qu’il faut pointer du doigt : les grandes évolutions liées à la digitalisation sont annoncées depuis belle lurette. On doit pouvoir les accompagner, sans passer par des épisodes aussi violents que celui que les travailleurs sont en train de vivre, notamment en repensant le rapport à la formation.

 

 Vous êtes-vous fixé un objectif précis pour vos quatre années de mandat ?

 

J’aurai l’impression d’avoir réussi mon mandat si le MOC, dans quatre ans, donne envie à d’autres de nous rejoindre. Cela voudra dire que nous avons obtenu des victoires politiques qui permettent de réveiller le mouvement social. Car c’est le moment de passer de l’indignation à l’action collective pour réduire les inégalités et renforcer les droits.

 

Ces dernières années, on a toutefois senti le mouvement social davantage sur la défensive…

 

Tout à fait. C’est un défi et une responsabilité des mouvements sociaux aujourd’hui de pouvoir proposer des nouveaux modèles et des utopies. Il nous manque une utopie de gauche dans laquelle on croit et qui nous permet d’imaginer un monde vers lequel on veut tendre. C’est notre responsabilité de le penser, de l’inventer et de le faire vivre, à partir de la réalité quotidienne, dans des processus participatifs d’éducation populaire.

 

Par Pascal Lorent

 


Coup de jeune


Agée de 35 ans (elle est née le 2 septembre 1983), la nouvelle présidente du MOC est un produit du pilier social-chrétien. Où elle affiche un parcours intéressant.

 

Vie Féminine. Chargée de recherche au sein du Conseil des Femmes francophones de Belgique, elle entre au sein de Vie Féminine en août 2008. Quatre ans plus tard, elle coordonne la Caravelle des droits de la femme pour cette même organisation. Au terme de cette aventure, elle endosse le costume de secrétaire générale adjointe de son organisation.

 

Greoli. En mai 2016, la ministre Alda Greoli (CDH) fait appel à elle au sein de son cabinet, au titre de conseillère en éducation permanente. Fonction à laquelle elle vient de renoncer pour présider durant les quatre prochaines années le Mouvement ouvrier chrétien, sommet de la pyramide des organisations collectives sociales-chrétiennes.

 

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